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LES DANGERS DANS LES MINES
ET CARRIERES

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" Il aura suffit d'une allusion au silence de mon amie Laurence Jézéquel dans la lettre d'information aux abonnés, pour qu'elle m'adresse le texte d'un entretien qu'elle avait eu avec Yves Lulzac au printemps dernier avant de repartir à l'étranger.
Cet entretien portait sur les dangers des métiers de la mine en général. "

LJ- Rentrée en France et disposant d’un peu de temps libre en ce moment, j’en profite pour parfaire mes connaissances sur votre ancien métier lequel, il faut l’avouer, a le don de rassembler une majorité de propos désagréables de la part d’une bonne partie de nos concitoyens. Remarquez, qu’en ce qui me concerne, ainsi que beaucoup de mes collègues journalistes, nous aussi, nous sommes loin de plaire à tout le monde !

 YL- Tout cela est bien dommage mais, pour ce qui concerne mon ancien métier, il faut admettre que s’il est tant détesté à l’heure actuelle, c’est bien un peu de la faute de vos collègues qui se complaisent, pour rester dans le cadre du politiquement correct, à démolir notre profession ainsi que notre mémoire. Et ceci dans tous les domaines. Y compris des domaines sérieux. Par exemple, tout dernièrement, j’ai eu l’occasion de parcourir un journal financier dénommé « Investir » et j’ai eu la surprise d’y apprendre que les « fonds d’investissement socialement responsables (ISR)» excluent les mines au même titre que les jeux, l’alcool et l’industrie pornographique !... Comme vous pouvez le constater, cette association très suggestive d’activités, à la limite du diffamatoire, ne laisse planer aucun doute sur la volonté actuelle de dénigrer une profession reconnue autrefois pour être des plus honorable.

 

LJ- Oui, je sais bien, mais croyez bien que je n’y suis pour rien car, pour l’instant, je ne cherche qu’à me documenter sans a priori. Mais ce qui m’étonne un peu, c’est de constater que parmi les rares personnes ou organismes officiels qui osent émettre un avis positif sur votre activité passée, on ne remarque jamais votre ancien employeur, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières. C’est pourtant lui qui a été le plus concerné dans cette activité.

 

YL- Moi aussi, je ne fais que constater la chose.  Je trouve en effet que l’actuelle PDG de cet organisme pourrait accorder un minimum de reconnaissance à tous les acteurs de la recherche minière passée, ne serait-ce que par l’intermédiaire du bulletin de l’Amicale des Anciens qui paraît tous les ans. Quant à nous rendre un quelconque hommage par voie de presse ou autre moyen de grande diffusion, il ne faut sûrement pas y compter. Maintenant que l’activité du BRGM est principalement dévouée à l’environnement et à l’écologie, vous pensez bien que ses dirigeants ne vont pas risquer leur carrière en se compromettant dans une publication de ce genre....

 

LJ- Oui, et cela se vérifie bien dans nombre d’entreprises !

 

YL- D’ailleurs je suggérerais que l’on modifie la raison sociale de cet organisme en supprimant le mot « Minières » qui n’a plus sa raison d’être, les rares géologues « rescapés » encore en activité se contentant de réaliser de beaux rapports de synthèse basés sur nos anciens travaux effectués sur le terrain. D’ailleurs, eux-mêmes ne vont plus sur le terrain ou éventuellement en dehors de nos frontières, mais se serait simplement à titre de conseillers.

 

LJ- Votre activité passée serait donc devenue une profession sinistrée à 100% en France. Beaucoup sembleraient s’en réjouir car, à les entendre, le métier de mineur était réputé pour être rude, dangereux, malsain et polluant.

 

YL- Bien sûr, autrefois le métier de la mine n’était pas un métier de tout repos. Mais, en ce qui me concerne, je ne peux trop vous en parler car, si j’ai souvent travaillé en mine, ce n’était pas en tant que mineur à proprement parler, mais en tant que géologue chargé d’orienter les travaux en fonction des relevés et des échantillonnages dont j’étais chargé. Et ceci, uniquement dans le cadre de travaux de recherches et non pas d’exploitation.

Bien sûr, je côtoyais les mineurs et connaissais très bien la nature de leurs travaux qui nécessitait une certaine dépense physique, surtout aux débuts des recherches, dans les années 50 à 60, lorsque la mécanisation n’était pas aussi développée que maintenant.

           

LJ- Mais si vous connaissiez si bien les mineurs, que pensaient-ils de leur métier ?

 

YL- Bien que leur métier ait été parfois dur physiquement, je ne les jamais entendu se plaindre. Et même, je suis bien certain qu’ils en étaient très fiers et qu’ils avaient conscience de l’utilité de leur activité. On était loin des pleurnicheries à la Zola !...

La mine peut être source de dangers, comme toute autre activité humaine, où que l’on puisse se trouver, même dans son propre logis....

Le tout est de connaître la nature de ces dangers et de faire attention à ce que l’on fait. Au cours de mon métier, lorsque je devais descendre au fond d’un chantier minier, j’étais bien conscient qu’il ne fallait pas faire n’importe quoi sans réfléchir.

Il en était de même à l’air libre, dans les champs, en compagnie des petits oiseaux si chers à vos copains écolos. On pouvait être confronté à certains dangers plus ou moins graves. Dangers qui variaient, bien sûr, en fonction des lieux ou des latitudes où l’on se trouvait…

 

LJ- Mais vous-même, avez-vous été déjà confronté avec de tels dangers ?

 

YL- Bien sûr, et au moins à quatre reprises cela m’a valu une bonne frousse...

 

LJ- Quoi par exemple ?

 

YL- Je n’ai guère l’envie de vous énumérer touts les incidents qui me sont arrivés, lesquels, je dois l’avouer, ont souvent été la conséquence d’une imprudence de ma part....

Si je suis toujours en vie, c’est probablement grâce au facteur « chance » et aussi à certains réflexes de survie ! Mais n’allez pas croire que tous ces incidents ont contribué à me traumatiser ! Bien au contraire ! De mon temps, on n’avait pas besoin d’une « cellule psychologique » pour se remettre d’aplomb !...

 

LJ- Mais pour ce qui concerne les travaux miniers profonds, qu’elles sont les principales sources d’accidents auxquels les mineurs sont confrontés ?

 

YL- Normalement, toutes les sources possibles d’accidents sont bien répertoriées. Bien sûr, la première chose qui vienne à l’esprit, c’est la chute de blocs de roche, voire d’éboulements plus importants, ou tout simplement la chute d’un outillage lourd d’une certaine hauteur. Dans le premier cas, si ce genre d’accident se produit, c’est en général parce que la « purge » des chantiers (galeries, puits, etc.) a été mal faite ou que la protection (boisages, boulonnages, etc.) a été sous estimée. Dans le second cas, c’est presque toujours à la suite d’une maladresse humaine.

Ensuite, lorsque l’accès aux travaux souterrains se fait à l’aide de puits verticaux, le risque principal, c’est la chute libre, soit à la suite d’un moment d’inattention (comme dans mon cas !) ou d’une fausse manœuvre à l’intérieur d’une cage (ou ascenseur). En général cela se produit quand on veut gagner du temps ou quand on croit pouvoir simplifier une tâche quelconque.

 Autre source d’accident possible dans les puits très peu profonds et abandonnés depuis un temps plus ou moins long (anciens puits d’orpaillage par exemple), c’est la présence insoupçonnée de gaz carbonique, même en terrain non calcaire. Si l’on descend dans un tel puits avec des moyens de fortune et si on ne s’aperçoit pas à temps du danger, vous tombez au fond et vous risquez de mettre également en danger de mort les personnes qui viendront vous secourir.

Dans une mine, les puits ont toujours été une source de désagréments ou d’accidents. C’est pourquoi, maintenant on les remplace par des galeries inclinées (les descenderies), peut-être plus sûres, mais plus onéreuses et plus longues à réaliser.

Autres sources possibles d’accidents : les engins mobiles (locotracteurs, wagonnets, chargeurs, camions, etc.) qui circulent toujours dans des espaces restreints et qu’il faut savoir éviter. De plus, certains engins équipés de moteurs diesel peuvent rejeter des gaz d’échappement malgré les dispositifs de neutralisation. Il a également été évoqué des dispersions de fibres d’amiante provenant des systèmes de freinage de certains engins.

 Enfin, l’emploi de l’air comprimé dans nombre d’outillages est parfois la source de sérieux accidents : ruptures de tuyauteries, (les « flexibles »), projections d’objets divers, etc. Sans oublier les décibels qu’on ne cherchait même pas à atténuer dans les débuts, à l’aide d’écouteurs ou de bouchons dans les oreilles....

 

LJ- Mais vous oubliez, semble-t-il, l’emploi des explosif qui est toujours très dangereux....

 

YL- Non, je ne les oublie pas mais les explosifs que l’on emploie actuellement, les dynamites entre autres, sont de grande sûreté si on les emploie correctement. Quant aux détonateurs, qui sont toujours très sensibles aux chocs, ils doivent toujours être manipulés avec précaution. Mais, pour ce qui concerne les détonateurs électriques, les plus employés actuellement, il convient de faire toujours attention à bien les relier entre eux lorsque l’on réalise des tirs multiples. En effet, si l’un d’entre eux est mal branché, il risque de se retrouver, à l’issue du tir, dans les déblais et peut alors exploser au contact d’un quelconque outil de déblaiement. Et s’il est encore inséré dans sa cartouche de dynamite, cela risque de faire des dégâts !

De même, il est recommandé de ne pas utiliser ce genre de détonateur par temps orageux.

Mais il faut préciser que l’emploi des explosifs est toujours réservé à du personnel possédant un permis de tir obtenu à l’issue d’un examen officiel. Et il est bien rare, de nos jours, que les explosifs soient la cause d’accidents graves.

Et j’en reviens toujours à dire que s’il y a des accidents en mine, c’est très souvent à cause d’une inattention passagère ou du non respect des consignes de sécurité. Et c’est souvent à la suite d’une longue période sans accidents qu’on a tendance à relâcher sa vigilance et que l’accident arrive.

 

LJ- Mais vous oubliez encore les maladies que l’on peut attraper dans les mines, sans oublier les catastrophes dues au grisou…

 

YL- En effet, le grisou a fait beaucoup parler de lui à cause du grand nombre de victimes qu’il peut causer. Personnellement je ne pourrais vous en parler savamment car je n’ai jamais travaillé dans les mines de charbon. Mais je sais qu’il est à l’origine d’un grand nombre de précautions qui, si elles sont bien respectées, sont généralement très efficaces.

Quant aux maladies que vous évoquez, je pense à la silicose des mineurs qui est essentiellement due à l’inhalation des poussières engendrées à la suite de divers travaux miniers (foration des mines, déblaiements, etc.). Mais c’est maintenant une maladie quasi inexistante depuis que toutes les opérations productrices de poussières se font à l’eau : injection d’eau pour les marteaux perforateurs, arrosage des déblais, etc. Mais, normalement, pour se garantir d’une éventuelle autre source de poussière, les mineurs sont tenus de se protéger à l’aide d’un masque spécial. Ce qui, entre nous, n’est pas toujours respecté car le port d’un masque est souvent gênant et désagréable.

Je pense également à la production du gaz radon dans les mines d’uranium qui peut être nuisible si elle est très importante. C’est pour cela que ces mines sont particulièrement bien ventilées pour éviter toute concentration.

Gaz qui, soit dit en passant, est présent dans la plupart des maisons d’habitation, en particulier celles construites dans les régions granitiques. Mais les émanations naturelles de ce gaz ne doivent probablement pas être aussi dangereuses qu’on veut bien nous faire croire, sinon la vie ne serait pas possible dans bon nombre de région de la planète terre !....

           

LJ- Mais vous parliez aussi de risques en surface, donc en dehors des travaux souterrains. De quoi s’agit-il ?

 

YL- En surface, on est très souvent obligé d’effectuer des petits travaux de terrassement, des tranchées plus ou moins profondes en particulier.

Et là, je dois dire que ces travaux, qui se réalisent presque toujours dans des terrains altérés et peu consistants, sont particulièrement dangereux si l’on y pénètre sans procéder à de sérieuses consolidations des parements (ou parois). Sinon, on risque de se faire enterrer sans grand espoir d’en sortir vivant. Autrefois, on n’y faisait pas trop attention car on avait l’impression qu’il ne pouvait pas nous arriver de gros problèmes à si peu de profondeur.

Mais, à la suite de quelques accidents, on nous avait interdit de pénétrer dans une tranchée, même peu profonde, sans l’avoir consolidée au préalable.

Obligation pas toujours facile à réaliser sur le terrain et qu’il nous arrivait parfois de transgresser. A nos risques et périls, bien sûr, ou au risque de belles frayeurs ..!

 

LJ- Si je comprends bien, vous n’étiez pas un fanatique du principe de précaution si en vogue de nos jours !

 

YL. Bien sûr, il nous arrivait de prendre des risques, mais des risques calculés, du moins pour ce qui me concerne. Évidemment, avec l’application stricte du principe de précaution actuel, il nous serait difficile d’exercer maintenant ce gente de métier et on perdrait une bonne partie de notre temps à exécuter des tâches inutiles et inadaptées aux conditions de travail du moment.  Je pense que chacun doit être capable de juger ce qu’il est bon, ou pas bon, de faire, à condition, bien sûr, d’avoir acquis suffisamment d’expérience dans le métier.

De toutes manières, ce n’est pas maintenant dans une mine qu’on risquerait un accident, si minime soit-il. Ce serait plutôt en faisant du « footing » ou en jouant au football ou au rugby ! Mais dans ce cas, il ne viendrait pas à l’esprit de qui que ce soit de vous accuser d’avoir exercé une activité dangereuse ou diabolique !

 

LJ- Qu’en est-il également du travail des femmes dans les mines car j’ai entendu beaucoup de choses à ce sujet ?

 

YL- De mon temps, on considérait que le travail de la mine était un travail d’homme. Tout d’abord, je pense, à cause de la pénibilité du travail et ensuite, sans doute, à cause d’une tradition dont l’origine est peut-être à rechercher dans la possibilité d’un relâchement d’attention et de vigilance de la part de certains mineurs. C’est pourquoi, la présence de femmes au fond n’était jamais souhaitable.

Pour ce qui me concerne, je n’ai jamais vu de femmes travailler au fond d’un chantier minier. A une exception près car, au CEA, on connaissait un ingénieur de haut niveau qui avait très souvent accès au fond pour étudier le comportement des gîtes d’uranium qui, à partir des années 50, étaient encore très mal connus. Cette personne que, personnellement, j’ai très bien connue puisqu’elle nous enseignait la chimie et la pétrographie à l’école du CIPRA, était très bien admise et appréciée pas les équipes de mineurs et sa présence sur les chantiers n’a jamais été à l’origine d’un quelconque incident.

Elle était passionnée par son métier au point d’avoir déclaré, au moment de prendre sa retraite, qu’elle avait exercé le plus beau métier du monde..!

Il est évident qu’à notre époque actuelle, une telle déclaration ne pourrait être mise que sur le compte d’un arriéré mental !...

 

LJ- Oui, cela passerait pour des propos insensés ! Mais pour vous-même, qui aviez exercé des recherches minières, ce métier était-il aussi attractif que cette brave personne voulait bien nous faire croire ?

 

YL- Bien sûr ! Et je ne regrette absolument pas de l’avoir choisi et exercé. C’était un métier passionnant que de rechercher et mettre en évidence un minerai quelconque. C’était un vrai travail de détective qui, en plus, s’exerçait en terrain vierge. Nous étions de véritables explorateurs et, lorsque nous admirions, à 50 ou 100 mètres de profondeur, une belle formation métallifère avec ses minéraux souvent cristallisés d’une manière magnifique, comme on peut les voir maintenant dans les vitrines des musées, on était sûr d’être les premiers au monde à pouvoir assister à ce spectacle...

D’ailleurs, je n’étais pas le seul à le dire. Et tous les jeunes que je connaissais et qui faisaient leurs écoles « sur le tas », avaient le sentiment d’exercer un métier merveilleux. Et grande a été leur déception quand, un beau jour, on leur a appris que ce métier n’était plus possible en France et qu’ils devaient chercher un autre travail.

Tout cela orchestré par une bande d’ahuris qui, soi-disant au nom de défense de l’environnement et de l’écologie, avaient réussi à convaincre nos dirigeants qu’il valait mieux acheter nos matières primaires aux pays étrangers, plutôt que de les extraire de notre sous-sol. Quitte à faire progresser le nombre de chômeurs. Mais, cela était, et reste toujours le moindre de leurs soucis.

 

LJ- Vous évoquiez, tout-à-l ’heure, une école appelée CIPRA. De quoi s’agit-il exactement car je n’ai réussi à avoir des précisions à ce sujet.

 

YL- Il s’agissait d’une école professionnelle crée dans les années 50 par Frédéric Joliot-Curie dans le cadre du CEA, uniquement dans le but de former des prospecteurs capables de découvrir et de mettre en valeur des gisements métallifères. Si l’accent était mis sur la recherche de l’uranium, tous les autres métaux étaient également concernés. CIPRA signifie : « Centre International d’enseignement en Prospection et valorisation des minerais Radioactifs industriels ».

Il s’agissait d’un enseignement essentiellement pratique sans exclure pour autant certaines connaissances théoriques de base, du niveau BEPC de l’époque. Cet enseignement, qui durait en gros une année scolaire, était très dense et contraignant mais il avait l’avantage d’être dispensé par des professionnels de très haut niveau et qui avaient l’art de nous apprendre facilement les bases de notre futur métier.

Au début, cette école était destinée à des étudiants français mais, très vite, elle a intégré un grand nombre de nationalités différentes. C’était une école mondialement reconnue dans le domaine de la recherche minière. Je dis bien « c’était » car cette école n’existe plus depuis 1987.

J’insiste bien sur le côté essentiellement pratique de cet enseignement, qui nous donnait les principaux fils directeurs de la recherche sur le terrain sans exclure d’autres possibilités ne rentrant pas dans le cadre des grandes théories enseignées dans les universités.

L’enseignement universitaire dans le domaine de la mine a peut-être du bon mais il risque parfois de nous faire passer à côté de choses importantes.

En particulier, il me revient un bel exemple en mémoire : le beau gisement de cuivre et d’or de Rouez, dans le département de la Sarthe, que le BRGM a bêtement loupé parce qu’un directeur local, sorti de l’Ecole des Mines, avait décrété qu’on ne pouvait rien trouver d’intéressant dans le genre de terrain concerné et qu’on ne devait pas y perdre son temps. Pourtant, ce gisement avait, pour ainsi dire, été découvert par un de mes collègue qui avait osé braver les interdits directoriaux et dont les échantillons, destinés à l‘analyse, avaient été ignorés et détruits. Et, bien sûr, un peu plus tard, le gisement fut redécouvert, étudié et partiellement exploité par un privé.

En fait, pour faire ce métier, il fallait avoir un peu l’esprit pionnier sans pour autant partir à l’aveuglette comme cela à pu se pratiquer au temps des grandes conquêtes. Il fallait quand même avoir de solides notions sur le comportement des minéraux et des roches. Et, avec de l’expérience, et aussi avec une certaine liberté d’action, on parvenait à découvrir des choses très intéressantes.

Choses qui, soit dit en passant, nous étaient gracieusement offertes par Dame Nature !

 

LJ- Peut-être offertes comme vous le dites bien que beaucoup de personnes pensent au contraire, que vous avez plutôt violé Dame Nature en allant fouiller dans les profondeurs du sol à la recherche de ses richesses cachées !

 

YL- Si Dame Nature, sûrement pleine de bon sens, avait voulu nous interdire toutes ces activités de recherches, je pense qu’elle aurait tout fait pour nous cacher ses richesses, au lieu de nous les faire entrevoir en de nombreux points sur la surface de la terre. Et je pense que le meilleur moyen de lui faire injure serait de mépriser ces richesses qu’elle nous offre si généreusement.

Vous devriez en parler à vos copains écolos, si toutefois ils veulent bien ouvrir leurs oreilles et, pour une fois, faire preuve d’un peu de bons sens. Mais là, je vous souhaite bon courage !

 

LJ- Oui, je vais essayer, à mes risques et périls !

En tous cas, merci de m’avoir enseigné, une fois de plus, toutes ces choses, nouvelles pour moi, sur la mine et les mineurs.

YL- A propos de mon ancien job, géologue minier, voudriez-vous lire ce qu'avait dit notre grand patron, Mr. Jacques Bertraneu, chef du département France-Europe du BRGM, au sujet de la recherche minière et des géologues miniers, le 10 mai 1989, après que Raymond Fischesser lui ait remis les insignes d'Officier dans l'Ordre National du Mérite.

LJ- Oui bien sûr, il est toujours intéressant de savoir comment est perçu le travail des gens de terrain, comme vous l'étiez, par leur hiérarchie.

Note de Laurence Jezequel : Monsieur Lulzac me confie alors la copie scannée d'un document papier tapé à la machine, que je lis sur place, il me dit que je pourrai le conserver car cette copie, il me la destinait, en voici la retranscription intégrale.

            "Au plan des réflexions, peu de démarches humaines sont aussi complètes, aussi équilibrées, aussi nuancées que notre métier, dans un monde de plus en plus technique, stéréotypé et impersonnel. Pour nous, chaque gisement à trouver est unique, chaque structure est différente de la précédente, même si les modèles sont là pour nous encadrer. Démarche naturaliste où tous les apports des sciences plus exactes sont bons mais insuffisants, où les approximations successives en partie subjectives sont la règle, où il faut savoir reconnaître l'échec, s'arrêter définitivement ou reculer pour repartir, forger le plus d'outils nouveaux, de plus en plus pointus, mais en les utilisant de façon éclairée, sans jamais en faire une finalité en soi. Et tout cela, paradoxalement, enfermé dans des contraintes permanentes de coûts et devant aboutir à la précision économique d'un projet industriel, lui-même suspendu à des cours des métaux éminemment fluctuants !

            Non, peu de métiers sont aussi éloignés des stéréotypes qui tendent de plus en plus à encadrer la plupart des démarches industrielles modernes. Peu de métiers, malgré l'apport indéniable des outils nouveaux, dépendent encore autant, pour leur succès, du facteur humain à tous les niveaux de la hiérarchie. Peu de métiers assurent encore à leur corporation un tel équilibre entre l'homme et l'outil. Peu de métiers finalement, dans le monde moderne, ressemblent encore autant à la vraie vie : mélange de rêve et de bon sens, de subjectif et de science, de tâtonnements et de rigueur économique.

            Mais, si nous voulons veiller à défendre ce caractère éminemment complexe et humain de notre démarche, caractère qui est non seulement l'attrait, mais aussi le garant du succès, ce qui est d'ailleurs souvent lié face au déferlement flatteur et fatal des modes, des techniques et des spécialités - certes bien venu et gage de progrès - nous devons veiller à former et honorer celui qui en est le vrai garant: je veux parler du géologue minier généraliste, au "look" vieillot de médecin de campagne face aux brillants hyperspécialisâtes, mais tuteur permanent du sujet, seul responsable quand ça va mal; certes ouvert à l'innovation mais doseur vigilant des médicaments nouveaux, gardien du bon sens face à l'hyperspécialisation triomphante, chef d'orchestre économique de la démarche, enfin très présent sur le terrain où, à ma connaissance, c'est toujours là que se découvrent les gisements.

            On peut d'ailleurs se demander si la meilleure remise à l'honneur du terrain pour les géologues miniers ayant accédé à des responsabilités ne passerait pas par des stages de terrain périodiques obligatoires les ramenant à la vraie réalité.

            La mode est bien aux stages d'informatique, d'expression orale, de communication et de management !..."

LJ- A la fin de la lecture alors que je levais la tête, Monsieur Lulzac me regardait avec un sourire un peu narquois, celui d'un homme sensible à l'hommage qui avait été rendu à sa profession mais aussi sensible au constat d'un homme, que visiblement il estimait, qui avait une vision prémonitoire d'un enterrement de première classe de la fonction.
Avant même que j'ouvre la bouche pour commenter ma lecture Mr. Lulzac me dit.

YL- A cette époque, Jacques Bertraneu était-il déjà conscient qu’il faisait l’éloge d’une espèce en voie de disparition ?

Certes, si l’on forme encore de rares géologues miniers en France, il est certain que leur terrain de jeu se situera sous d’autres latitudes sans avoir la certitude de pouvoir exercer leur métier d’une manière aussi idéale, libre et responsable.

Bertraneu avait encore en tête ses équipes de chercheurs compétents et passionnés auxquels les directeurs de projets accordaient suffisamment de confiance pour leur permettre d’agir en fonction des connaissances acquises au fil des recherches sur le terrain.

Dans ces conditions et quand on connaît bien son sujet de recherches, il est évident que ce métier devient vite passionnant et enrichissant. Bien sûr, le succès tant espéré n’était pas toujours au rendez-vous car il n’est pas toujours aisé de découvrir un gîte minéral sachant que l’on a très probablement affaire à un cas particulier n’obéissant pas toujours à un modèle déjà connu et étudié.

Mais quelle satisfaction et quelle joie ressent-on lorsque nos efforts et notre persévérance sont enfin récompensés par la mise à jour d’une minéralisation tant espérée, que ce soit dans les sédiments d’un sondage destructif, dans une carotte de sondage ou sur le front de taille d’une galerie de mine.

Sentiments sûrement partagés par Dame Nature satisfaite de constater que ses indices disséminés sur le sol ont finalement conduits à localiser ce gîte qu’elle a si malicieusement caché en profondeur...

Et, pour celui qui met à jour une quelconque minéralisation, grande est aussi sa satisfaction de savoir qu’il est le premier au monde à pouvoir la contempler, à l’image de ce qu’ont pu ressentir les explorateurs d’antan lors de leur progression sur les terrains vierges de notre planète.

LJ- Bien que profondément triste de la tournure des choses, il venait de répondre très joliment à la question que j'allais lui poser !
Cette attitude confirmait ma profonde admiration pour cet homme passionné qui a toujours cru au  bien fondé de son travail de recherche et qui toute sa vie est resté droit dans ses bottes et dont l'honnêteté intellectuelle reste intacte avec l'âge. Je prends toujours beaucoup de plaisir à le rencontrer, lorsque nous échangeons il parle vrai sans détour et j'ajoute, avec son cœur, car il a pratiqué son job, comme il dit, avec l'amour du travail bien fait.

Brisbane le 26 octobre 2021.

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